10 décembre 2017

La traversée du désert

Après notre virée en mer en demi-teinte, nous quittons Port Lincoln en faisant préalablement quelques provisions. Nous allons entamer le trajet que je redoute tant depuis le début de notre road trip : la plaine de Nullarbor. L’étymologie de Nullarbor provient des mots latins « nullus » (nul) et « arbor » (arbre). Cette région est aussi connue sous le nom de « Oondiri », signifiant « sans eau » en langage aborigène.

Vous l’aurez sans doute compris, la plaine de Nullarbor est un désert aride, sans aucun relief et peu habité voire un no man’s land à certains endroits. D’une superficie de 200 000 kilomètres carrés, sa traversée prend environ deux jours en voiture, en ne faisant quasiment aucune halte.

Avant de se lancer à l’aventure, il est donc préférable de faire le plein de nourriture, d’eau et d’essence afin de ne pas se retrouver dans une situation critique. Autant vous dire que très peu de voiture passe dans cette partie de l’Australie, il n’y a presque pas de réseau (voire pas du tout) pour appeler les secours et les stations essences se comptent sur les doigts de la main.

Une nuit très agitée

Le réservoir rempli à ras bord ainsi qu’un bidon d’essence (que j’avais eu l’idée d’emporter avant notre départ) et les courses au supermarché terminées, nous conduisons jusqu’à la frontière de la plaine pour passer la nuit. Les routes n’étant pas éclairées, il peut être dangereux de s’engouffrer dans les profondeurs du désert avec les phares de la voiture pour seule lumière.

Nous nous éloignons de la route principale pour nous garer sur un parking désert, à proximité d’une falaise et de l’océan. Cette nuit, je vais devoir dormir dans la tente avec Patricia ce qui ne m’enchante guère. D’autant plus qu’un vent violent a décidé de souffler toute la nuit. Devant faire avec, j’entre dans la tente à reculons et essaie de dormir le plus rapidement possible. Avec un peu de chance, un sommeil de plomb pourrait m’éviter une insomnie due aux éléments qui se déchainent à l’extérieur.

Bien évidemment, cela n’a pas marché… Depuis plusieurs heures, je lutte pour dormir paisiblement dans une tente qui semble « possédée ». Comme si cela n’était pas suffisant, vers trois heures du matin, le tonnerre a décidé de gronder dans la plaine. Les bruits intenses et incessants me poussent à sortir de la tente pour voir ce qu’il se passe.

Un spectacle aussi magnifique qu’effrayant s’offre à moi. Le ciel noir d’encre est illuminé par des éclairs qui frappent le sol avec fracas à intervalle régulier. Fasciné, je regarde la nature se déchaîner avant de prendre conscience que nous sommes sur un terrain plat sans arbre ni habitation, ni quoi que ce soit de plus haut que la tente, la voiture ou moi-même. Me souvenant de mes premiers cours de sciences naturelles à l’école, je me rends compte que je suis un parfait paratonnerre pouvant attirer la foudre…

Peu serein, je décide de rentrer dans la voiture même si Jade dort à l’intérieur. Heureusement, les portes ne sont pas fermées ce qui me permet d’éviter de taper à la vitre jusqu’à ce que ma partenaire de road trip ne se réveille. Malgré mes efforts pour faire le moins de bruit possible, Jade ouvre les yeux et me demande ce qu’il se passe. Je lui explique et lui montre la tempête qui a lieu sur la plaine. N’ayant pas de boules Quies comme Patricia et encore moins son sommeil lourd, je n’arrive pas à me rendormir et lui demande si je peux rester dans la voiture un petit moment. Elle accepte bien évidemment (je pense que c’était délicat pour elle de me dire de sortir de ma propre voiture).

Au bout d’une heure et demie, le vent, le tonnerre et les éclairs se sont calmés et je décide alors de repartir sous la tente finir ma nuit.

À l’assaut de la plaine de Nullarbor

Vers six heures du matin, je me « réveille » après une nuit désastreuse d’insomnie. Je crois que j’ai perdu plus d’énergie à tenter de dormir que si je m’étais fait à l’idée de passer une nuit blanche. Résultat, je suis épuisé et je ne me sens pas tellement bien. Courbaturé, j’ai des picotements dans la gorge et suis un peu nauséeux.

Je me doutais que j’allais tomber malade car ces derniers jours, mon corps a été mis à rude épreuve. La baignade avec les lions de mer et la plongée en cage dans une eau glacée ne m’avaient pas mis dans les meilleures conditions pour affronter la tempête de cette nuit.

En attendant que les filles sortent de leur tanière, je pars me balader et respirer un peu d’air frais. Je ne m’aventure pas trop loin de la voiture et me contente d’observer les vagues que j’aperçois derrière la falaise. Je manque de courage pour descendre au bord de la mer car il faudrait ensuite remonter une pente assez inclinée.

Océan camping parking
Vue sur l’océan depuis le parking ayant servi de camping pour la nuit. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Sept heures. Les filles se lèvent ce qui nous permet de partir nous changer et prendre notre petit-déjeuner dans un village à quelques kilomètres de là. N’étant pas dans mon assiette, je demande aux filles de prendre le volant aujourd’hui. Seule Jade daigne me répondre et me propose de m’installer sur la banquette arrière pour me reposer.

C’est parti pour plus de 1 600km de désert avant d’arriver à notre prochaine destination ! Je passe toute la matinée à dormir et me réveille lorsque Jade décide de faire une halte à Ceduna, une ville en bord de mer. Les filles en profitent pour faire une halte au « bottle-o » (nom donné aux magasins vendant de l’alcool). Il faut savoir qu’en Australie, seul ce type de boutique a le droit d’en vendre. Vous ne trouverez ni bière, ni vin ou autres spiritueux en supermarché. Après de nombreux débordements (parfois mortels), l’Australie a décidé de mettre en place des lois très strictes à ce sujet. Toute personne ayant une activité professionnelle en rapport, de près ou de loin, avec l’alcool doit suivre une formation et obtenir une certification, le RSA (Responsible Service of Alcohol). Cela va du transporteur, au barman, au vendeur ou au serveur dans n’importe quel restaurant. Les clients, quant à eux, doivent être majeurs et présenter une pièce d’identité s’ils désirent acheter une bouteille.

Pour ma part, j’en profite pour me dégourdir les jambes et me balader sur la jetée. Ceduna n’a rien de particulier mais je suis tout de même frappé par le nombre d’aborigènes qui habitent ici. Ces derniers vivent généralement dans le nord de l’Australie plutôt qu’au sud. Par contre, ils partagent la même addiction vis-à-vis de l’alcool que leurs cousins du nord. C’est terrible de voir la déchéance d’un peuple, due, en très grande partie, aux colons européens, les ayant chassés de leur territoire, tout en les massacrant. Les Australiens, se sentant coupables des atrocités qu’ils ont fait endurer aux aborigènes, ont décidé de leur donner une pension à vie. Malheureusement, certains d’entre eux l’utilisent pour acheter de l’alcool et se soûler dans les parcs ou les rues des villes.

Plage Ceduna
Une balade en bord de mer à Ceduna. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
jetée Ceduna
La jetée de Ceduna. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Nous reprenons la route pour nous arrêter à Penong qui possède l’une des dernières stations essences avant des centaines de kilomètres de désert. Ici, vous trouverez également Comet, le plus gros moulin à vent d’Australie.

Penong désert
Les abords de la ville de Penong. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
Comet Penong
Le moulin à vent Comet. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

La frontière du Western Australia

Nous ingurgitons des kilomètres de ligne droite sans faire une seule halte, exceptée devant un panneau routier, demandant aux automobilistes d’être vigilants vis-à-vis des animaux sauvages. De nombreux accidents ont lieu sur cette route et plus particulièrement la nuit où certaines petites bêtes décident de se balader.

D’ailleurs, nous avons croisé plus de cadavres de kangourous ou de wombats que de voitures. Plus étonnant, vous pouvez aussi tomber sur des dromadaires. Et oui, ces derniers ne se trouvent pas uniquement en Afrique. Je ne vais pas vous mentir, ce ne sont pas des animaux australiens… Ils ont été introduits pas l’Homme pour je ne sais quelle raison. Je peux juste vous dire que dans les parties désertiques du continent, des fermes élèvent des dromadaires et organisent des courses (comme avec les chevaux dans les hippodromes). Je suppose que certains se sont enfuis des fermes et se sont reproduits à l’état sauvage.

Plaine Nullarbor panneaux
Malade mais heureux de traverser la plaine de Nullarbor. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

En pleine nuit, nous arrivons à la frontière entre le South Australia et le Western Australia. Devant les barrières, un douanier nous fait signe de nous arrêter pour nous poser quelques questions et fouiller notre coffre. Il nous explique que certains produits sont interdits dans l’état du Western Australia dont le miel, les pommes de terre et les oignons. Pourquoi plus particulièrement ces trois aliments, je n’en ai aucune idée. Devant le poste de douane, j’aperçois des cartons remplis de pots de miel, ce qui me fait sourire. Peut-être, y a-t-il un lobby du miel dans le Western Australia, qui sait ? Nous avons également droit aux questions basiques comme : d’où venez-vous ? Pourquoi venez-vous ici ? Où allez-vous ?

L’interrogatoire terminé, le douanier nous laisse passer, en nous souhaitant un bon voyage.

Les dangers de la nuit

Malgré l’obscurité, nous décidons d’avancer un peu plus, avant de nous arrêter dans un endroit où dormir. Cette idée est vite abandonnée lorsque nous apercevons, de chaque côté de la route, des kangourous observant les voitures passer. En regardant le bitume de plus près, éclairé par les phares, nous constatons que la route prend une couleur rouge sang ! Nous comprenons alors le danger que nous prenons en roulant de nuit dans le désert. Nous tentons de chercher au plus vite une aire d’autoroute ou un chemin éloigné de la voie principale pour poser notre tente.

Pour ne rien arranger, Patricia, derrière le volant, m’inquiète beaucoup. J’ai pu constater que c’est une très mauvaise conductrice qui n’arrive pas à s’habituer à rouler à gauche, elle perd ses moyens à la moindre difficulté. Au lieu de conduire plus lentement, cette dernière maintient une vitesse de 80 km/h jusqu’à apercevoir un gros kangourou mort en plein milieu de la route. Malgré le coup de frein, elle ne peut éviter de rouler dessus. Je crains pour les suspensions de ma voiture qui ont dû prendre un sacré choc vu la taille de la bête. Quelques mètres plus loin, rebelote, Patricia roule sur un autre cadavre.

Elle décide enfin de ralentir et heureusement car nous croisons un énorme kangourou qui, cette fois-ci, est vivant. Dressé sur ses pattes arrière, ce dernier nous regarde, sans bouger. Nous klaxonnons pour l’effrayer mais rien à faire, il ne bouge pas d’un poil. Nous sommes contraints de nous déporter sur la voie de droite et de nous retrouver à contre sens pour pouvoir passer. Pendant la manœuvre, le kangourou ne cesse de nous regarder avec un air narquois. Même si j’adore ces marsupiaux, il faut avouer qu’ils sont, excusez-moi de l’expression, « cons comme des balais ». Aucun sens du danger, au contraire, ils ont une attitude complètement suicidaire.

Enfin, nous trouvons un endroit où nous installer. Un petit chemin de terre nous amène dans une sorte d’aire d’autoroute qui fera parfaitement l’affaire. Étant encore plus malade que ce matin, Jade me propose de dormir dans la voiture, ce que j’accepte sans me faire prier. Nous terminons la journée en ayant parcouru la moitié du trajet. Demain, nous allons encore rouler pendant de très longues heures… J’espère juste que je serai un peu plus en forme qu’aujourd’hui car traverser le désert malade, sans aucun médicament, c’est loin d’être une partie de plaisir.

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