26 février 2018

Dans les couloirs de la prison de Fremantle

Depuis mon arrivée à Perth, j’ai eu l’occasion de pratiquer divers types de tourisme : balnéaire avec Scarborough, citadin avec le CBD & Elizabeth Quay ou encore vert avec Rottnest Island & Kings Park. Pour cette nouvelle journée dans la capitale du Western Australia, il est temps de s’intéresser à la culture et l’histoire de la région. Rien de mieux qu’une visite dans la plus célèbre prison d’Australie pour satisfaire cette envie irrépressible !

L’histoire de Fremantle

Le centre pénitentiaire se situe à Fremantle, au sud du centre-ville de Perth où j’avais pris le ferry pour rejoindre Rottnest Island. Le quartier s’est développé grâce à la prison, principale activité économique au XIXème siècle. Ironie de l’histoire, ce sont des bagnards qui ont construits eux-mêmes leur future résidence d’une surface de 60 000 m².

Le choix du site n’est pas le fruit du hasard bien au contraire. Afin d’éviter au plus possible les évasions et les courses poursuites, la prison a été érigée dans une « impasse » où le prisonnier en cavale a deux options :

  • Tenter sa chance en traversant l’océan Indien (encore faut-il être muni d’un bateau et arriver indemne en Afrique du Sud ou en Indonésie, pays les plus « proches » de l’Australie) ;
  • Partir dans le désert aride pour rejoindre la côte Est (une des seules régions habitées à l’époque et située à des milliers de kilomètres de Fremantle) avec de grande chance de mourir de déshydratation.

Face à ce choix cornélien, mieux vaut rester dans la prison. Néanmoins, la vie au sein du pénitencier est loin d’être un long fleuve tranquille avec encore une fois la mort comme seule échappatoire. Mourir enfermé ou mourir en liberté, c’est un sujet philosophique sur lequel les prisonniers de Fremantle ont dû réfléchir quotidiennement dans leur cellule.

Une visite guidée en deux parties

En milieu de matinée, nous arrivons, Steven et moi, devant un grand édifice, austère et lugubre, encerclé par une enceinte infranchissable, décoré de barbelé et morceaux de verre très aiguisés. Rassurez-vous, plus personne ne purge de peine dans cette prison depuis longtemps (le 7 novembre 1991 pour être exact). Au début des années 90, les criminels ont été transférés dans un autre centre pénitentiaire, celui de Casuarina, à 30 km au sud de Perth. Ouvert au public depuis 1992, Fremantle est désormais un musée attirant des milliers de visiteurs chaque année.

Bienvenue prison
Bienvenue à la prison de Fremantle. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
barbelés murs prison
Les barbelés entourent les murs de la prison. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Nous franchissons la porte d’entrée et sommes accueillis chaleureusement par un employé qui nous explique tous les tours proposés par les guides. Outre la visite classique de l’enceinte, il est possible de traverser les souterrains de la prison à pieds et/ou en bateau mais aussi de faire des tours à thème. Voulant en connaître davantage sur ce lieu, regorgeant d’histoires et de légendes, nous choisissons de compléter la visite guidée classique par celle des évasions (ou tentatives) les plus spectaculaires et des prisonniers les plus célèbres.

Bienvenue à Fremantle

Le groupe de visiteurs au complet, le guide nous ouvre les portes, en fer forgé, et commence la visite par la « salle d’accueil » des futurs résidents de Fremantle. Pour nous mettre dans l’ambiance, il nous explique que la majorité des personnes, entrant dans ce centre pénitentiaire, allaient certainement y mourir soit lors d’une échauffourée entre prisonniers, soit par peine capitale, soit par suicide, soit lors d’une tentative d’évasion… À Fremantle, vous avez une multitude de possibilités pour partir de cet enfer les pieds devant.

La population pénitentiaire, âgée au minimum de 12 ans, arrivait boulet au pied, en file indienne, attendant qu’on les appelle pour une fouille intégrale et recevoir la tenue qu’ils porteront jour et nuit jusqu’à la fin de leur peine. Je n’imagine même pas le traumatisme d’un pré-ado, assis dans cette pièce, entre un serial-killer et un pédophile…

Nous quittons cet endroit, qui me donne des frissons, et passons quelques instants par la cour intérieure pour rentrer dans un des nombreux bâtiments où se trouvent les cellules. Dans les couloirs, le guide nous explique que les prisonniers étaient classés par division en fonction de leur âge et/ou de leur crime. Par exemple, la première division rassemblait les mineurs de 12 à 17 ans, les rares à ressortir de Fremantle vivants. La deuxième division, séparée de la première par un mur en béton, regroupait les pédophiles, mis à part des autres prisonniers pour leur propre sécurité. Puis, au fur et à mesure que l’on augmente de division, on trouve des personnes de plus en plus dangereuses, commençant du « simple voleur » pour finir au tueur en série.

Entrée cour intérieure
La grande cour intérieure à l’entrée de la prison. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
étages cellules
Les cellules d’une division réparties sur plusieurs étages. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Les femmes, absentes à l’ouverture de la prison, sont entrées à Fremantle des années plus tard. Il a alors fallu aménager un bâtiment rien que pour elles, situé à l’opposé des dortoirs masculins. Éloignées des hommes, ces dernières étaient toutes mélangées quel que soit leur crime. La petite délinquante pouvait se retrouver à côté d’une tueuse impitoyable. En effet, certaines détenues étaient loin d’être des jeunes femmes frêles et sans défense.

La vie à Fremantle

Dans chacune des divisions, les cellules sont réparties sur deux étages avec un filet en métal séparant le rez-de-chaussée du premier niveau. Pourquoi ce filet ? Eh bien, pour éviter que les prisonniers ne meurent, soit en se jetant afin de se suicider, soit poussés par un autre repris de justice.

Filet sécurité prison
Les filets de sécurité entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
Couloirs division
Dans les couloirs des divisions. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Les cellules, très rudimentaires, ne sont pas forcément les mêmes. Certaines sont individuelles, d’autres peuvent accueillir deux personnes, avec des surfaces variant du simple au double, munies de lits classiques ou hamacs.

cellule prison Fremantle
Une cellule individuelle. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
Cellule partagée prison Fremantle
Plus spacieuse, par contre il faut partager sa « chambre ». Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Bien que toute décoration murale soit interdite, des prisonniers se sont improvisés décorateurs d’intérieur avec plus ou moins de succès. Une cellule attire plus particulièrement mon attention avec de splendides peintures. Ces dernières, représentant uniquement des paysages, sont très réalistes et reflètent sans aucun doute le mal être de la vie carcérale où ces personnes, enfermées entre quatre murs, rêvent d’évasion, de revoir les splendeurs que nous offre la nature. C’est étrange d’admirer des œuvres d’art d’une beauté époustouflante et de ressentir à travers elles l’horreur du quotidien à Fremantle. Bon, je ne vais pas non plus pleurer sur leur sort. Je n’oublie pas que beaucoup d’entre eux étaient des criminels avec de dangereux troubles psychologiques.

Peinture détenu Fremantle
Des peintures faites par un détenu de Fremantle. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
cellule peinture
Une peinture aborigène dans une cellule. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
Fresque cellule
Des fresques religieuses dessinées par un prisonnier. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Passant devant le planning de la prison, je m’arrête pour lire et connaître l’organisation classique d’une journée. Levé à 6h45 du matin, puis, une heure pour prendre son petit-déjeuner et se laver avant de commencer le travail (souvent en cuisine, à la laverie et autres parties communes de la prison) pour les moins dangereux bien évidemment. Les autres restaient en quarantaine dans leur cellule jusqu’au déjeuner. L’après-midi se déroulait comme la matinée avec une extinction des feux à 23h15.

Planning Fremantle
Le planning de la semaine en prison. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

En parlant des parties communes, nous visitons les cuisines et petites cours intérieures bétonnées où se prennent les repas. Très vite, nous arrivons à la chapelle de la prison où sont affichés les 10 commandements, sur une fresque, derrière l’autel. Petite anecdote, le sixième commandement « Tu ne tueras point » a été modifié par « Tu ne commettras point de meurtre ». La peine capitale étant pratiquée au sein de Fremantle il n’aurait pas été logique d’avoir ce commandement tel qu’il est mentionné dans la Bible.

Cuisine Fremantle
Les cuisines de la prison. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
Repas Fremantle
La « salle » de repas. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
Chapelle prison Fremantle
La Chapelle de la prison. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
Christ Chapelle
Représentation du Christ sur l’un des murs de la chapelle. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien
10 commandements
Les 10 commandements. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Pour ceux que cela intéresse, il est possible de se marier dans cette chapelle en s’y prenant à l’avance (comme pour un mariage classique, la liste d’attente et de réservation est assez longue).

La mort au bout du couloir

Maintenant, passons à la partie morbide de la visite. Nous rejoignons une cour où des prisonniers recevaient des châtiments corporels pour mauvaise conduite. Afin de « mater les mauvais élèves », les gardiens pouvaient avoir recours au fouet, punition douloureuse et interminable. Debout, les mains attachées à une structure en bois, le prisonnier pouvait recevoir jusqu’à 100 coups de fouet en fonction du crime commis au sein de la prison. Les bourreaux étaient tous volontaires car certains matons ne pouvaient supporter les hurlements poussés par les détenus, retentissant dans le centre pénitentiaire.

Chaque coup de fouet était compté méticuleusement car le châtiment pouvait durer sur plusieurs jours. Très souvent, les prisonniers tombaient dans les pommes avant la fin. Ils allaient alors à l’infirmerie où ils étaient soignés avant de reprendre, les jours suivants, les coups de fouet. Pour désinfecter les plaies béantes et sanguinolentes, de l’alcool et du gros sel étaient jetés sur le dos du malheureux (je vous laisse imaginer la douleur). Certains ne survivaient pas à cela et finissaient leur vie dans d’atroces souffrances.

Fouet prison Fremantle
Démonstration d’une séance de flagellation. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Après nous avoir expliqué tous ces détails, le guide nous montre une petite maisonnette juste à côté et nous invite à y entrer. Il s’agit de la salle de pendaison où étaient exécutés les condamnés à mort. De 1889 à 1964, 43 hommes et une femme ont été pendus dans cette pièce (pour info, la peine de mort en Australie a été abolie en 1984). Les plus chanceux mourraient la nuque brisée à l’ouverture de la trappe, située sous les pieds du criminel, tandis que les autres mourraient étranglés lentement.

Potence Fremantle
La potence de la prison. Crédit photo : CHAN OU TEUNG Fabien

Voilà les principaux temps forts de cette visite qui aura duré environ une heure. Nous revenons à l’entrée de la prison où nous attend le deuxième tour sur les plus illustres prisonniers de Fremantle.

Les évasions ratées et réussies dans la prison

Un nouveau guide nous prend en charge et nous ramène dans l’enceinte du centre pénitentiaire. Cette fois-ci, nous allons nous immerger dans la peau des grands criminels ayant tenté de s’évader de cette forteresse. Je ne vais pas vous raconter l’histoire de tous ces personnages mais sachez qu’en un siècle et demie, seulement une dizaine de prisonniers ont réussi cet exploit.

Le plus célèbre d’entre eux est Joseph Bolitho Johns, surnommé Moondyne Joe. Il a réussi à quitter Fremantle à cinq reprises, ce qui a créé sa légende d’artiste de l’évasion. Le gouverneur lui a même construit une cellule spéciale d’où il s’est encore évadé avant de se faire capturer une nouvelle fois par les forces de police, deux ans plus tard. Une autre histoire passionnante est celle des six « Fenians » (nationalistes irlandais) ayant réussi l’évasion parfaite de quitter l’Australie pour les Etats-Unis à bord d’un baleinier en 1876.

Le guide nous parle également des plus grands serial-killers d’Australie tel qu’Eric Edgar Cooke, surnommé « The Night Caller » ayant avoué l’assassinat de huit personnes (sans compter les cambriolages, viols et tentatives de meurtre). Ce dernier fut exécuté en 1964 et est le dernier condamné à mort de l’Etat du Western Australia.

Le centre pénitencier a également été victime d’une mutinerie, causant un grand incendie en 1988. Anecdote « amusante », les prisonniers ayant pris en otage plusieurs gardiens, avaient négocié une libération, à condition d’être livré de 700 burgers Hungry Jacks (que l’on connait dans le reste du monde sous le nom de Burger King).

Des personnalités connues ont aussi fait un tour par la case prison de Fremantle dont Bon Scott, le chanteur du groupe AC/DC, mort en 1980 d’un coma éthylique.

Après toutes ces histoires fascinantes, nous sortons ravis, ne regrettant absolument pas d’être venus. La prison de Fremantle est un passage obligatoire lorsque l’on voyage dans les environs de Perth. Cela change des visites classiques. Les guides s’improvisent acteurs et vous racontent de manière vivante et ludique tout ce que vous avez besoin de connaître sur le plus légendaire centre pénitentiaire d’Australie.

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